Qui sera le bon samaritain ?

Prédication de Christian Bonnet, président de la Fondation La Cause, à l’occasion de la Fête du 18 juin 2022, pour marquer le changement de direction (départ de Nicole et Alain Deheuvels, arrivée d’Isabelle et Julien Coffinet, respectivement aux postes de Directrice du Département Solos-Duos et Directeur général de la Fondation La Cause).

En relisant la parabole du bon Samaritain (Luc 10.26-37) pour préparer ce culte, j’ai été frappé par le caractère polémique de cette histoire. (…) Jésus décrit un prêtre et un Lévite qui ne lèvent pas le petit doigt pour venir au secours d’un homme blessé. Voilà des gens qui se disent et qui se savent investis d’une fonction sacrée, mais pour qui la vie d’un homme n’est pas sacrée. Ils préfèrent préserver leur pureté rituelle. En langage contemporain, on dirait : ils ne veulent pas se salir les mains.

Enfin, le choix d’un Samaritain est très polémique. Les juifs considéraient les gens de ce peuple comme des ennemis. En effet, les Samaritains avaient été installés dans la région pour occuper les maisons et les terres des juifs déportés. Ils étaient schismatiques par rapport au courant religieux traditionnel, ils avaient fait le choix d’une autre Écriture sacrée, d’un autre lieu de culte que le temple de Jérusalem, d’un autre calendrier et d’autres rituels religieux. Le propos tenu par Jésus est donc paradoxal : il met en scène un schismatique détesté de tous, et il le décrit comme le seul qui a eu les gestes d’humanité nécessaires par rapport à cet homme blessé.

Si on s’amusait à transposer la parabole dans notre contexte actuel, on dirait : un homme descendait de Paris à Saint-Denis. Arrivé à la porte de la Chapelle, il se fait détrousser par des consommateurs de crack qui le laissent à moitié mort. Un prêtre catholique passe par là et se détourne. Un pasteur protestant fait semblant de ne pas le voir. Un brave musulman sur sa mobylette s’arrête et porte secours à cet inconnu… Je n’exagère pas dans la symbolique des lieux et des personnages.

Alors, quel est l’enjeu de cet entretien tendu entre Jésus et le maître de la loi ? Pour le maître de la loi, il s’agit de prouver que Jésus n’est pas un bon observateur de la loi, et de ce fait, avoir matière à le condamner. Pour Jésus, il s’agit de démontrer que la religion établie, avec ses préceptes traditionnels et son code de la pureté, n’a abouti qu’à cliver la population entre purs et impurs, entre ceux qui respectent les commandements et les autres. Car, dans la mentalité du judaïsme ancien, le prochain ne peut être que le compatriote, et pour les plus radicaux, seulement celui qui appartient à la même confrérie religieuse que moi. Vous constatez que le judaïsme ancien pratiquait déjà ce que certains appellent aujourd’hui « la préférence nationale » : je viens en aide seulement à ceux qui me ressemblent. Et tout l’enjeu de cette parabole est de faire écrouler ce système de pensée pervers. (…)

Celui qui a été ému jusqu’aux tripes par le sort de ce malheureux blessé au bord de la route, c’est le Samaritain. Son action est décrite en six verbes : il s’approche du blessé, il bande les plaies, il verse de l’huile, il le fait monter sur son âne, il amène à l’hôtellerie et là, il prend soin de lui. Le Samaritain incarne un amour du prochain qui ne se contente pas de belles paroles ou de grands principes, mais qui le met concrètement en pratique. L’apôtre Jean en fait une exhortation pour tous les chrétiens : « Mes enfants, n’aimons pas seulement en parole, avec de beaux discours : faisons preuve d’un véritable amour qui se manifeste par des actes. » (1 Jean 3.18).

Toute la parabole est construite pour que l’auditeur s’identifie au blessé qui a besoin d’aide. Et dans ce cas, peu importe d’où vient le secours : même l’aide d’un Samaritain est bonne à prendre. Cette parabole ouvre la perspective d’une fraternité universelle qui va au-delà des clivages sociaux, religieux ou culturels. C’est une sorte de manifeste antiraciste que Jésus nous donne là. (…)

Pourquoi souligner le contexte et le caractère polémique de cette parabole du bon Samaritain ?

D’abord pour vous suggérer que faire le choix de la solidarité, c’est risquer de se mettre à dos les plus conservateurs dans notre société. La solidarité en actes est un combat contre l’ordre établi qui s’accommode facilement de l’injustice, de l’exclusion, de la fermeture des frontières…

Mais en abordant la parabole sous cet angle, ne croyez pas que je suis en train d’insinuer que La Cause serait une sorte de bon Samaritain qui ferait le travail compassionnel que les Églises officielles ne font pas. La Cause n’est ni en opposition, ni en compétition avec les Églises. D’ailleurs, le contexte législatif propre à la France fait que les œuvres comme la Cause qui font partie de la Fédération de l’entraide protestante sont indispensables pour que les chrétiens, membres des Églises protestantes, puissent exercer ce devoir de solidarité qui leur tient à cœur. Les bons Samaritains aujourd’hui, ce sont tous les croyants qui soutiennent l’action de ces œuvres au quotidien, et celle de La Cause en particulier. Ils ont choisi, par l’intermédiaire de ces œuvres, de s’approcher des handicapés, des personnes âgées, des sans-domicile-fixe, des migrants, des sans-papiers, des femmes battues, des malvoyants, des orphelins… et de les aider dans leur détresse. D’une certaine manière, La Cause agit par délégation des croyants qui la soutiennent.

S’il me fallait trouver dans cette parabole un parallèle pour décrire le travail de la Cause, je dirais que La Cause est un peu comme l’hôtelier à qui le Samaritain délègue une mission de protection et d’assistance. Il lui donne déjà deux pièces d’argent et dit à l’hôtelier : « Prends soin de lui, et ce que tu dépenseras en plus je te le paierai moi-même. »

La Cause est une fondation reconnue d’utilité publique, qui ne reçoit aucune subvention pour son fonctionnement. C’est un choix délibéré qui nous permet de maintenir une totale liberté d’action et de ne pas dépendre des politiques publiques qui sont par nature fluctuantes, selon les alternances politiques. Elle s’appuie donc sur vous, ses amis, pour poursuivre sa mission dans les quatre domaines que vous connaissez bien : le handicap visuel, l’enfance, l’accompagnement des couples et des célibataires, l’édition.

Fondation La Cause

Cela fait maintenant dix ans que je suis président de la Fondation et, année après année, je suis émerveillé par la grande fidélité de nos donateurs. C’est l’occasion pour moi de saluer l’énorme travail de consolidation et d’ouverture vers d’autres milieux confessionnels qu’Alain et Nicole Deheuvels ont effectué durant leur vingt-neuf années de ministère à La Cause. Il est tout à leur honneur d’avoir voulu terminer leur parcours professionnel dans un ministère encore plus en lien avec les Églises locales et l’aumônerie.

Avec l’arrivée de Julien et Isabelle Coffinet, La Cause va bénéficier d’une énergie nouvelle, d’idées nouvelles, de nouvelles relations pour poursuivre cette œuvre désormais centenaire, mais qui fait preuve d’un remarquable dynamisme.

Le prêtre et le lévite obéissaient au premier commandement mais négligeaient le second. Le danger que courent peut-être certaines œuvres chrétiennes serait de privilégier le second commandement sur l’amour du prochain, mais en oubliant le premier. La Cause ne perd pas de vue qu’elle a été créée en 1920 comme une œuvre d’évangélisation, tout en s’inscrivant délibérément dans le courant du christianisme social. Nous voulons donc tenir ensemble et vivre ensemble ces deux commandements rappelés par le maître de la loi : « Tu aimeras le seigneur ton Dieu de tout ton cœur de toute ton âme de toute ta force et de toute ta pensée », et aussi : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »

Pour terminer, je voudrais relire avec vous cet admirable passage du livre d’Ésaïe que Jésus avait probablement en tête lorsqu’il a imaginé cette parabole :

« Voici la forme de culte à laquelle je prends plaisir [dit Dieu] : c’est libérer ceux qui sont injustement enchaînés, c’est les délivrer des contraintes qui pèsent sur eux, c’est rendre la liberté à ceux qui sont opprimés, bref, c’est supprimer tout ce qui les rend esclaves. C’est partager ton pain avec celui qui a faim, c’est ouvrir ta maison aux pauvres et aux déracinés, c’est fournir un vêtement à celui qui n’en a pas, c’est ne pas te détourner de celui qui est ton frère. Alors ce sera pour toi l’aube d’un jour nouveau. » (Ésaïe 58.5-8)

Que ce soit pour chacun de nous l’ambition d’une vie réussie !

Prédication – Fête de La Cause 18 juin 2022 -Christian Bonnet – Président de la Fondation La Cause