De César à Marius : une récompense pour l’audiodescription

Depuis 44 ans, le cinéma français accorde des récompenses, les Césars, à tous ceux qui, réalisateurs, acteurs, techniciens, contribuent à son rayonnement et sa qualité. Les Césars les plus connus sont ceux attribués aux réalisateurs et aux comédiens mais il existe 22 catégories, censées distinguer la totalité des professionnels du cinéma.

Il y a trois ans, une nouvelle récompense est apparue : le Marius de l’audiodescription. À l’origine de ce prix, la CFPSAA (Confédération Française pour la Promotion Sociale des Aveugles et des Amblyopes) qui rassemble des associations de personnes déficientes visuelles. Attribuer le Marius, c’est faire le constat que le cinéma est un art populaire qui s’adresse à tout le monde, y compris aux personnes atteintes de déficience visuelle. Pour le rendre accessible, une technique est utilisée, l’audiodescription. Selon l’Association Française d’audiodescription, c’est un procédé qui permet de rendre accessible des films, des spectacles ou des expositions aux personnes non-voyantes ou malvoyantes grâce à un texte en voix off qui décrit les éléments visuels de l’œuvre.

1/ Une belle histoire

L’audiodescription est née, officiellement, à la fin des années 70, lorsque Gregory Frazier, étudiant à l’université de San Francisco, développe, dans son mémoire de maitrise consacré à la télévision pour les aveugles, le concept de description audio « scénarisée ». Il n’est pas le seul à travailler sur ce sujet : dans les théâtres et les musées, on s’intéresse aussi à la question et on invente des solutions. Parmi ces précurseurs, Cody et Margaret Pfanstielh qui créent un service d’audiodescription pour un théâtre de Washington et des cassettes audio pour guider les visiteurs de la statue de la Liberté.

Les professionnels de la télévision saisissent également l’intérêt du procédé et tentent de diffuser des émissions en les synchronisant avec un canal radio proposant une audiodescription. Toutefois, ces initiatives restent relativement marginales et isolées et peu de pays emboitent le pas aux pionniers américains.

C’est en 1988, lors de la sortie de Tucker, un film de Francis Ford Coppola, que l’audiodescription va accéder à une certaine visibilité. Ce film est la première œuvre de cinéma à être audio-décrite. En effet, par un hasard singulier, le doyen de l’Université de San Francisco où enseigne Gregory Frazier est August Coppola, frère de Francis Ford Coppola et père de Nicolas Cage. Dès ce moment, l’audiodescription va s’internationaliser.

En 1989, trois Français vont s’initier aux techniques américaines : Marie-Luce Plumauzille, Maryvonne Simoneau et son fils Jean-Yves Simoneau. Avec le concours de l’Association Valentin Haüy qui obtient l’exclusivité du procédé pour la France, ils réalisent l’audiodescription du film Indiana Jones et la dernière Croisade tourné par Steven Spielberg. La première a lieu le 18 octobre 1989.

Ouiza Ouyed, journaliste et comédienne non-voyante témoigne de l’impact de cette projection en tant que spectatrice : « Cette expérience a été pour moi un véritable choc. Il m’était donc possible de regarder un film sans être privée de l’essentiel ! De tout comprendre ! Finie la frustration devant une scène sans dialogues… Finies les déductions approximatives et souvent erronées pendant les fictions à suspens… »

Bien que l’audiodescription s’adresse potentiellement à près de deux millions de personnes en France, sa généralisation a été relativement lente et n’est pas exclusivement liée à une absence de volonté publique. En effet, mettre en œuvre l’audiodescription nécessite une convergence de solutions techniques, au cinéma comme à la télévision.

2/ « Ce programme vous est proposé en audiodescription »

Vous vous êtes peut-être demandé ce que signifie cette annonce diffusée avant le début de certaines émissions, en particulier sur la chaine Arte. En effet, c’est cette chaine qui a le plus investi : depuis l’an 2000, elle propose tous les mois au moins un film audiodécrit. Pour bénéficier de ce service, il faut activer une fonction sur la télécommande de la télévision ou de paramétrer la box ou le décodeur. En 2008 et 2009, les autres chaines, TF1 et France 2, ont suivi l’exemple d’Arte, aidées en cela par la généralisation de la Télévision Numérique Terrestre.

Au cinéma, deux systèmes existent :
• des récepteurs fournis par l’exploitant de la salle et distribués aux spectateurs concernés lors de l’achat du billet. Fidélio est un des dispositifs les plus répandus.
• des applications à télécharger sur un smartphone. La plus populaire, Twavox, se connecte par WIFI au canal diffusant l’audiodescription dans la salle.

Ces procédés sont faciles à mettre en œuvre et surtout ne dérangent pas les autres spectateurs, sauf si le son des écouteurs est mal réglé par l’utilisateur.

3/ Audiodescripteur : un nouveau métier

Le Ministère de la Culture a publié en septembre 2018 un guide consacré à l’accessibilité au cinéma. On trouve, dans ce document, la réaffirmation que l’audiodescription est un travail de création à part entière : il s’agit d’écrire un texte inédit à partir d’un support visuel.

En effet, l’audiodescription doit intégrer les principes fondamentaux suivants, résumés dans une charte :
• Le respect de l’œuvre : en particulier, le style, le rythme et l’esthétique doivent être transmis en même temps que les informations contenues dans les images
• L’objectivité : l’audiodescripteur doit être précis, définir les personnes, les lieux, le temps et l’action, sans interpréter ni déformer
• Le respect de l’auditeur : les spectateurs déficients visuels perçoivent déjà, par la bande son du film et les dialogues, des éléments quant au déroulé de l’intrigue. Le rôle de l’audiodescripteur est de fournir uniquement les informations significatives qui ne seraient pas accessibles par le son.
Le mode opératoire comporte deux temps : l’écriture et l’enregistrement.

a/ L’écriture

Dans ses préconisations, la charte rappelle qu’il faut décrire lors des silences et ne jamais empiéter sur les dialogues ou sur la musique lorsque celle-ci est signifiante. Le vocabulaire de l’audiodescription doit s’accorder au genre du film, respecter le registre de langage tout en étant riche et précis.

On conçoit à quel point audiodécrire est un exercice de haute voltige puisqu’il est question de résoudre un paradoxe : créer tout en étant parfaitement fidèle à l’œuvre originale. Lors de l’écriture, il est recommandé de travailler en binôme avec une personne déficiente visuelle qui peut contribuer au travail ou en vérifier la pertinence.

Le témoignage de Ouiza Ouyed est éclairant : voici comment elle décrit son expérience :
• Pendant l’écriture : scène par scène, minute par minute, ils (les audiodescripteurs) me décrivaient la scène, l’action, les personnages et nous trouvions ensemble les mots pour le dire dans le temps imparti, en quelques secondes, entre bruitages et dialogues
• Puis comme relectrice : J’interviens à plusieurs niveaux. Le sens : ai-je bien compris ce qui se passe à l’écran ? Si non, est-ce parce qu’il manque un élément essentiel, ou à cause d’une maladresse d’écriture ? L’esthétique du film est elle bien rendue ? On ne décrit pas une comédie burlesque avec les mêmes mots ni le même style qu’une grande épopée d’aventure ou qu’un drame intimiste, etc.

b/ L’enregistrement

La charte préconise de confier l’enregistrement à un ou deux comédiens dont la voix doit être adaptée à l’émotion de la scène et au rythme de l’action mais doit néanmoins garder une certaine neutralité. Là encore, il est question d’un dialogue subtil entre l’œuvre et l’audiodescription.
Ce sont principalement des comédiens de voix off qui prêtent leur concours à cette étape.

4/ L’audiodescription : combien ça coûte ?

La loi du 5 mars 2009, transposition en droit français de la directive européenne du 11 décembre 2007, a imposé aux chaînes de télévision l’obligation de proposer des programmes accessibles aux personnes handicapées. Ce qui a élargi le marché de l’audiodescription. Le Syndicat National des Auteurs et Compositeurs, qui représente les audiodescripteurs, tente actuellement de faire respecter des tarifs moyens qui varient aujourd’hui entre 55 et 70 euros par minute (soit entre 5 000 et 6 300 euros pour une fiction de 90 minutes). Mais, du fait d’une concurrence accrue, les tarifs baissent. Il n’est pas rare que les chaines de télévision, par exemple, passent commande à un prestataire qui réduit au maximum le cout de production au détriment de la qualité des réalisations. Dans ce cas, les spectateurs mal ou non voyants ont effectivement accès aux films mais dans des conditions très dégradées : mauvaise qualité du texte, enregistrements à la chaîne par un interprète non professionnel… Il est bien dommage qu’un outil si utile à bien des spectateurs subisse ainsi la loi du marché !

Le Marius de l’audiodescription

Au fait : et le Marius ? Il a été décerné le 26 février dernier par un jury de 130 votants francophones réunis au Centre National de la Cinématographie. Sept films étaient en lice et le prix a été attribué à Raphaëlle Valenti, pour l’audiodescription du film J’accuse de Roman Polanski. Son trophée lui a été remis par la précédente lauréate, Dune Cherville, distinguée pour le film Pupille de Jeanne Herry. Joli clin d’œil : l’héroïne de Pupille exerce le métier d’audiodescriptrice, ce qui avait permis de mettre en lumière ce métier de l’ombre.

Dominique Pauvret
Directrice du Département Handicap Visuel
de la Fondation La Cause